Des objets, des chalets et Philippe…
Sous ce titre sibyllin se cache l’aventure d’une vie et celle des Chalets de Philippe. Le résultat d’une quarantaine d’années de conviction, de choix, de labeur, d’échanges et d’idées. Et… une volonté chevillée au corps, celle de se « construire » son propre paradis, éden conviendrait mieux. Bienvenue sous les cieux étoilés de Philippe mais, s’il vous plaît, attention, ceci est un article à lire sur la pointe des pieds, dans un espace-temps où vous serez une fée, un lutin, un « servan » comme on dit dans ces montagnes. Un esprit ouvert sur les rêves réalisés, « devenus vrais » traduisent nos amis d’Outre-Atlantique et d’Outre-Manche.
Une volonté, disais-je,
Inscrite sans doute dans les tréfonds d’une âme inexplorée ou, si elle l’est, pudiquement tue. J’aimerais sonder l’inconscient de Philippe, pour comprendre les ruelles secrètes de ses pensées, tenter d’expliquer son attachement à cette terre alpine. D’où tout cela vient-il ? Que lui est-il arrivé à cet homme de bientôt quatre-vingts ans, qui en paraît quinze de moins et dont l’énergie booste l’esprit d’un enfant encore et toujours prêt à s’émerveiller. Mais peut-être est-ce le contraire ?!
Philippe Courtines, a kind of extra-terrestre vous dis-je, dont j’ai envie, non pas de vous conter l’histoire, je n’en connais que quelques bribes, mais de mieux vous faire connaître l’univers, Les Chalets de Philippe, où je me suis posée avec un o ou pausée avec un a et un u, quelques doux jours et belles nuits.
Enfant, pour Philippe, les vacances c’est la montagne.
Tous les étés dans les années quarante/cinquante, il vient ici à Chamonix avec Maman. Son retour sur cette Terre, peu ou prou quarante plus tard est donc très proustien dit-il ! Les montagnes, ces montagnes, ses montagnes sont sa Madeleine à lui, un parfum d’enfance, vous savez ce temps dont on ne guérit jamais, et que l’on souhaite faire perdurer à l’infini. Et heureusement !
Au fil de son adolescence et de sa jeunesse,
Il s’essaie à la photographie avec un talent certain. Motivé par la beauté des choses, le patrimoine, la mémoire qui exacerbent son petit côté « reporter d’images et d’émotions », il photographie la beauté immanente des hôtels particuliers du quartier du Marais à Paris, appelés à la destruction ! (OUI ! vous avez bien lu, la mairie de Paris de l’époque les détruisait).
En 1972, il organise un événement « Visages du Marais » un spectacle vivant, sur la base d’un immense diaporama, présenté à l’hôtel de Sully avec une de ses amies de toujours, une petite jeune, Nathalie Baye et d’un monstre déjà sacré, un pote à lui, Nougaro pour sauver les hôtels particuliers. Ensemble, ils ont fait barrage de leurs corps pour empêcher la destruction de l’hôtel Salé devenu, vous imaginez, le musée Picasso ! Leurs actions conjuguées ont fonctionné et les trésors architecturaux, qui restaient encore debout, ont été sauvegardés.
Piqué par le virus,
Philippe Courtines poursuit sa croisade patrimoniale et s’intéresse aussi aux œuvres des travailleurs de la main. Il organise au fil des années des salons d’artisans pour réunir, faire connaître et propulser sous les feux de la rampe, des métiers considérés « en fin de vie ». Rappelez-vous ou sachez-le si vous êtes tout jeune, dans les années mille neuf cent soixante-dix/quatre-vingt, seule l’intelligence cérébrale compte. Les enfants et adolescents étaient tous appelés à devenir des ingénieurs, des physiciens, des astronautes, des informaticiens de génie, des avocats, des capitaines d’industrie. Bref, vous avez compris… des cerveaux ! L’intelligence de la main, elle, (Voir le musée de l’outil et de la pensée ouvrière à Troyes) – tout aussi essentielle, voire plus – n’avait guère de poids et plus aucune reconnaissance. Le manuel c’était pour les pauvres qui n’avaient pas d’argent pour des études ou pour des en-dessous de 125 de QI ! Et puis, pourquoi passer un hiver à fabriquer un coffre de mariage en bois sculpté quand on peut acheter des meubles en kit chez Ikea ?
Philippe décide de placer ces métiers du beau et du pérenne en pleine lumière. Il veut protéger les métiers d’art. Ceux du cuir, du bois doré, les facteurs de clavecin, les ébénistes, les créateurs d’automates. Un artisanat vivant présenté, lors d’un grand salon, dans la cour de la bibliothèque historique de Paris avec la participation de l’auteur Jean Dereims.
Durant les années soixante-dix et début quatre-vingt,
Il devient imprésario et produit un premier spectacle : Paristory Musique en 1975 sur une musique de Pierre Bachelet et des textes dits par Michèle Morgan et Jean-Claude Brialy. Suivront près de 700 autres concerts. Philippe passe sa vie en voyage, en France et partout dans le monde. Quand il raconte sa vie fourmillante de rencontres de l’époque, surgissent des noms fabuleux de peintres, d’acteurs, d’écrivains. Il connaît tout ce que le monde compte d’artistes. Quand il se voit offrir des toiles par Andy Warhol himself, il les oublie ! Il adore la musique, voue une passion au cinéma, promène son livre de chevet favori Crimes et Châtiments de Dostoïevski partout et préfère lire Molière que le voir jouer sur scène.
En 1983, pour un concert de Jacques Higelin, il passe dans le coin.
Au hasard d’une route, puis d’une autre, Philippe s’égare (Ah… les coïncidences !) jusqu’à un vieux chalet isolé doté d’une pancarte À VENDRE. Il tombe en pâmoison. Un chalet. Là. Avec vue sur l’Aiguille du Midi et le Mont-Blanc, enfin l’autre face du Mont-Blanc, la plus secrète. Comme ce chalet. Comme cette route. S’il s’écoutait il arracherait la pancarte mais, bien élevé et très pressé, il appelle le numéro de l’agence : « J’achète. Oui sans visiter. Non ce n’est pas nécessaire. Je vous envoie un chèque de réservation. Je reviens dans trois jours finaliser. »
Il a tout simplement écouté son intuition.
C’est là. C’est l’endroit. A 1278 mètres au-dessus du niveau de la mer, il va vivre à son altitude idéale. Plus bas, c’est trop bas. Plus haut, c’est trop haut. Non, il est bien là. Il respire. C’est calme. C’est beau. C’est grand. Avec un énorme potentiel pour cet enfant dans un corps d’homme qui rêve de créer un lieu unique. Un village à sa façon. Pas normatif. Pas réglé. Pas souillé par les pancartes. Un lieu à partager avec des « comme lui » qui veulent du bois, des feux de cheminée, des bonnes choses à savourer, du calme, des rencontres inopinées avec la faune et la flore locales, de grandes balades. C’est là et nulle part ailleurs qu’il va vivre le temps qui lui reste.
Fini !
Les routes.
Fini !
Les 700 concerts produits en 10 ans.
Fini !
La superficialité parisienne qui finissait de l’épuiser.
Fini !
L’inutilité des conversations vides de sens.
Bonjour !
L’éloge du beau, du vrai, du véritable.
Les gens qui veulent le voir viendront jusqu’ici !
Il se passionnait pour le patrimoine et les métiers d’Art !
Ici, tout prend son sens. Il chine. Furète encore. Fouille toujours. Les objets du patrimoine alpin, qu’il aime tant, dont il savoure les courbes, la nature, le style, la simplicité évidente et l’efficacité redoutable, remplissent sa vie, son chalet, ses hangars. Ça dé-bor-de !
Alors, lui vient l’idée de construire des chalets autour des objets. La belle idée que voilà ! Philippe va se mettre en chasse des chalets typiques des Alpes, des perles oubliées à flanc de montagne, que l’urbanité galopante a relégué au rang de tas de bois.
Si quelques passionnés savent encore en apprécier la beauté, Philippe est le seul à dépenser des ressources incroyables pour les démonter, les transporter, les réparer, les adapter, les transformer en chambres d’hôtes cosy, confortables, thématisées.
Et naissent Les Chalets de Philippe et avec eux la légende…
Il va partager son espace sacré, lui donner tous les codes d’un ancien village de haute altitude. Chaque chalet ou mazot aura son style à lui, dicté par le choix des objets qui le décorent. Ainsi la suite Baroque est-elle un hymne à une époque où tout ce qui brille est d’or et d’argent. Où l’on aime la couleur, les tissus épais et généreux, le confort de fauteuils douillets. La suite Pelle est montagnarde dans toute son authenticité avec un lit quasi clos, une belle cheminée et des meubles lourds façonnés à la main. Le chalet Les Trolles, parfait pour une famille ou des amis, est une agréable invitation au confort moelleux, à la rêverie, au partage d’une bonne fondue aux cèpes sur la terrasse. Les mazots La Batie et le Lavaret, des chalets étroits, très rares quand ils sont comme ici sur trois étages, possèdent des chambres avec vue, et quelle vue ! On y dort, grâce aux larges fenêtres, sous une pluie d’étoiles. Au petit matin, on se réveille dans un autre monde où les sons sont étouffés par l’épaisseur de la brume. Que dire du plus petit chalet, le Clopet (une petite sieste en langage local) ? Si ce n’est qu’il est la réponse parfaite à nos rêves d’enfant quand nous priions pour dormir une nuit dans l’antre d’un farfadet.
Partout des anges, des angelots, des séraphins.
Philippe, lui-même serait bien incapable d’en dire le nombre. En revanche, devant cette affection que certains pourraient qualifier de kitch, il parle d’art sacré, pas de religion. Il explique : « J’aime passer devant des anges. Ils sont réjouissants à voir. Ils me mettent de bonne humeur ! » Idem pour les Vierges auxquelles ce collectionneur invétéré donne les plus belles places. « Dans ma quête, je fonctionne au coup de cœur, à l’émotion, à rien d’autre. Un objet me touche ou pas. Un tableau me parle ou pas. Peu m’importe la signature dit-il comme pour s’excuser. » Philippe est imbattable. Comme c’est son cœur qui le guide, il connait intimement chaque objet de tout cet immense trésor. Il peut en raconter, la vie, l’origine, le lieu d’achat. Ce faisant, il explique en caressant les objets, les meubles. Ses yeux se mouillent devant certains tableaux ornant les murs.
Et comme l’homme a bon goût, il crée des objets usuels.
Il dessine la vaisselle et les verres, les fait souffler par un maître verrier. Il lance chez son ébéniste Arnaud Griffon la production d’une collection de couteaux de table, de plateaux de bois, en arolle ou en pin cembro ou encore en chablis1. On peut en respirer l’odeur profonde et naturelle à chaque repas pris autour de la grande table d’hôtes. Une table d’hôtes, comme tout le reste, totalement unique, en pierres de lave avec un immense plateau de bois local.
Sur la table dressée, la vaisselle est magnifique,
Les candélabres scintillent, la cheminée crépite. L’ambiance est douce et l’on attend, avec un soupçon d’impatience, la cuisine du Chef Théodor, un ancien comptable venu de sa Bulgarie natale, pour faire fondre d’un bonheur gastronomique quiconque tombe sous sa coupe ! S’ensuit une valse de plats de dégustation tous plus délicats, harmonieux et subtils les uns que les autres. Vous les découvrirez quand vous viendrez puisque chaque jour le Chef concocte ses trésors. Salé, sucré… il est très (très) fort et mériterait largement une étoile au guide rouge. Mais, qu’importe, ici les étoiles sont dans le ciel ! Quant aux vins, je ne suis pas la mieux placée pour en parler, mais il s’est dit tout autour de moi, qu’ils étaient exceptionnels !
Comme un bonheur n’arrive jamais seul,
Après une balade, une sieste devant la cheminée, un dîner exceptionnel dans l’autre salle à manger, la « secrète2 », il est temps de « se faire un dernier grand kiffe » dans la salle de cinéma. Nous avons visionné, sur recommandation de Philippe, Burlesque, un film qui a échappé au public lors de sa sortie en 2010 . Un film musical avec Cher et Christina Aguilera. Que vous dire du confort d’une salle privée où le public ne mange pas bruyamment des pelletées de pop-corn, si ce n’est que l’accès est inclus dans les prix et le choix des films tout à fait rassurant, quand bien même des chutes de neiges dantesques bloqueraient les « guest » longtemps.
Je pourrai vous parler longuement du jardin alpin,
Des ruches, du potager, des jacuzzis, hammam aux cristaux et autre saunas. Je pourrai vous parler des balades à faire dans les environs, de la mer de glace, de la vue sur le glacier, de la frondaison des cimes des pins, de l’herbe si verte, des oiseaux… tout cela fait partie du rêve de gosse de Philippe. Un rêve réalisé. Un rêve à faire perdurer. C’est la richesse de toute une vie de culture, de rencontres, de découvertes qui s’exprime dans les Chalets de Philippe. Et c’est à cela que cet homme inspirant, authentique, émouvant et drôle se doit de penser pour après. Il y a toujours un après. Il y pense. Souvent. Beaucoup. Trop. Il aimerait plus que tout trouver une fille spirituelle ou un fils d’esprit, pour assurer la continuité de ce travail démarré il y a plus de trente ans. D’autant que quand je lui demande quel est son chalet préféré, taquin, il me répond « le prochain ! »
Parmi les prochains… une chapelle baroque, le chalet du lac, le four à pain et le lac alpin.
Tout un village donc, soutenu par la mairie de Chamonix qui coordonne le dossier de classement Des Chalets de Philippe comme Site du Patrimonial Remarquable, histoire de maintenir à distance les voraces charognards prêts à édifier des immeubles de vingt étages en lieu et place des petites maisons de bois.
Protégé, le beau village brillera de tous ses feux sous la pleine lune étincelante et scintillera sous le soleil et sous la neige pour encore très longtemps. Judith Lossmann
- 1- Nom du bois mort que l’on récupère sur la mer de glace, en altitude. Son altitude favorise une pousse très lente et une fibre de bois très serrée. Le « bois flotté » du froid en quelque sorte. Idéal pour les manches de couteaux.
- 2- Ben non, je ne dirai rien sinon elle ne sera plus secrète…
INFORMATIONS PRATIQUES
Réservation et infos complémentaires : Les Chalets de Philippe.
A faire absolument : Le Musée des Cristaux – 615 All. Recteur Payot, 74400 Chamonix-Mont-Blanc / Tel. 04 50 54 78 39