vendredi 26 avril 2024

Un psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers

Un psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers

Ou une histoire de moine et de robot dont on ne sait trop qui est le moine de qui est le robot.

De plus en plus souvent, je m’entends dire, en parlant d’un concept, d’une idée, d’une façon de voir l’avenir : « c’est très 21e siècle ! ». Ma façon intime de qualifier les premières conséquences de ce 21eme siècle âgé à peine du quart de sa longévité et donc toujours empreint du mode de réflexion de son prédécesseur et largement représenté par une majorité d’habitants nés au 20e siècle. Des gens qui disent : « C’était mieux avant. » « De mon temps… » « Non, mais t’as vu ça… Ces revendications à la con ?! »
Allez, l’autodérision n’ayant jamais fait de mal à personne, je vais rire de moi-même. C’est toujours salutaire. Moi, la première… Je me désespère de ces revendications. Pourquoi vouloir à tout prix exprimer son homosexualité ? Son transgenre ? Sa sexualité multiple ? Sa race ? Sa couleur ? En quoi tout ceci nous (les hétérosexuels nés homme ou femme et désireux de le rester) regarde-t-il ? Que cachent ces revendications, cette inclusion ? Quel besoin ? Quelle nécessité ?

Dans ma (déjà longue) histoire de vie, je suis certaine de n’avoir jamais été moqueuse, anxieuse, critique envers un ou une gay, un ou une transgenre, un ou une handicapé. Je n’ai jamais compris à quel moment les mots nain.e, sourd.e, aveugle, noir.e sont devenus des insultes. Quand blanc ne l’est pas (Je fais juste remarquer au passage parce que dans les faits je m’en contrefiche de cette revendication). J’ai toujours réagi violemment (en mots) à cette hypocrisie sociale qui fait nommer les éboueurs… des techniciens de surface, les caissières … des hôtesses de caisse et les standardistes… des hôtesses d’accueil téléphoniques. Comme si l’on voulait, transformant l’image mentale, transformer le fond. Une hérésie de plus. Une caissière fait le même métier qu’une hôtesse de caisse mais « on » réussit à lui faire croire que le second est plus valorisant que le premier. Flatterie !? Ça marche toujours.

Quelle émotion, quel but, quel intérêt commande aux politiques et à leurs corollaires sociaux de « dorer la pilule » aux gens, au point qu’ils s’en contentent voire en sont fiers et qu’ils oublient de regarder là où ça fait mal. Pourquoi ceux qui gouvernent ne peuvent-ils le faire sans recourir aux vils instincts ? Personne, pas une, pas un qui voudrait « gouverner » par le haut. Par l’intelligence partagée, par la communauté, par l’esprit, par… Allez je lâche le mot qui pue, par et avec conscience ?! Bref, les gens de pouvoir prennent les petites gens sans pouvoir pour des cons et ceci depuis que le Monde est Monde. Et, jusqu’à ce que tous, nous fassions ensemble, notre révolution de conscience, il y aura toujours des gouvernants avec leurs abus de pouvoir et des gouvernés qui plieront l’échine pour ne pas risquer de perdre le peu qu’ils possèdent. La loi du talion. Le pot de fer contre le pot de terre. De la chair à canons. Les « ressources » humaines au sens du droit de vie ou de mort fut-il démocratique ! Nommez cela comme il vous (en)-(dé) chante !

Je me suis fort éloignée du Psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers là non ?

Et bien pas tant que cela ! C’est à la lecture des premières pages de ce livre que me sont venues ces aigreurs intellectuelles. Je me suis dit :  » Punaise, jusque-là ! La revendication des minorités va venir m’emmerder jusque-là !  » Quelques pages et j’ai refermé le livre avec son « iel », ses « froeurs », ses dieux multiples qui règnent sur la conscience des robots. Ses moines. Les laïcs, les écologiaires, les cosmistes, les charismistes, les essentialistes. Nous sommes sur Panga. Un temps où les robots servaient les humains. Suivi d’un temps où ils prirent tout le travail des hommes qui en avaient pourtant bien besoin. Puis, d’un temps où leur porte-parole a expliqué aux humains que les robots refusaient d’intégrer la société humaine. Qu’ils n’en avaient pas grand-chose à faire du statut de citoyens libres. « Nous vous remercions, dirent-ils, de ne pas nous contraindre à rester ici, et, même si votre proposition nous touche, nous souhaitons quitter vos villes afin d’observer ce qui n’est pas une création : la nature sauvage.»

Pour ma part, dit Frère Gil, dans Le Grand Saut : rétrospective spirituelle de l’ère des usines et des débuts de la Transition : « À quelque dieu que soit due la conscience des robots, je crois qu’il est raisonnable de se tourner vers le dieu des mystères. Après tout, comme le garantissait la Promesse de Séparation, nous n’avons plus jamais eu aucun contact avec des robots. Nous ne pouvons leur demander ce qu’ils pensent de tout cela. Nous l’ignorerons sans doute toujours. »

Et, j’ai rouvert le livre, intriguée par cette société humaine (enfin je crois…) représentée par Dex, un froeur parvenu à un moment de sa vie où il doit absolument foutre le camp de la ville. Et le voilà qui enfourche son vélo-maison pour vendre du thé au mug sur les places publiques des jolies campagnes. Et, il entend les grillons, sent la pluie, respire l’ozone de l’herbe coupée, rencontre d’autres iels.

Et, le charme de ce monde agit. Et l’on veut savoir où le conduit cette poésie. Nulle part peut-être mais quelle importance. C’est le chemin qui compte n’est-ce pas ? Pas la destination. Sur la route, iel s’étonne d’objets manufacturés encore en place, de découvertes en la personne des araignées-pommes et j’en passe.

Au fil de ses pérégrinations, il va faire des rencontres interdites. Je ne vous en dis pas plus.

Lisez ce livre gracieux d’une auteure riche, généreuse, cultivée. Une ode à la poésie, à la beauté, à la réflexion, à l’étonnement. Une écriture lumineuse comme un matin d’été. Une vision optimiste d’une planète fertile qui a réussi à échapper au pire. Délicieux et enchanteur, Ce psaume pour les recyclés sauvages gomme toute la première partie de ma chronique. C’est bon ça ! Une pépite « très 21e siècle » dont notre société a grand besoin. Judith Lossmann


INFORMATIONS PRATIQUES

Un psaume pour les recyclés sauvages de Becky Chambers aux éditions L’Atalante – ISBN : 9791036001192 – PRIX : NC

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