VOYAGE AU POLE SUD, un film de Luc Jacquet
C’est notre mission de journaliste de vous donner envie d’aller voir un film ou pas. Et pour réussir cette mission, il y aura autant d’approches que de journalistes qui écriront leur ressenti au travers de leurs filtres. Culturels, émotionnels, éducatifs, artistiques, narratifs, critiques bien sûr. Depuis toutes ces années, je n’ai jamais considéré que pour bien faire mon boulot, il me fallait démonter un film, le passer à la moulinette des comparaisons, l’assimiler à l’univers d’un tel ou d’une telle. Je ne crois qu’il faille le relier à un courant de pensées, à des référents. Quand bien même, parfois, il est juste de citer des origines communes et des combats singuliers mais partagés, j’ai toujours aimé penser qu’un auteur de film, – au même titre qu’un auteur de livres,- narrait une histoire profondément enfouie dans sa mémoire cellulaire à laquelle il avait un besoin irrépressible de donner une vie propre, au risque de ne pas être compris. Et, que je sache, plusieurs humains peuvent partager des inspirations et des destins communs tout en choisissant de la raconter chacun à leur manière. Je ne sais pas très bien pourquoi j’ai écrit ces mots qui précèdent. Sans doute, parce que j’ai peur des gens qui vont quitter la salle (des journalistes l’ont fait pendant la projection), je crains que toute cette poésie soit trop lourde à porter dans un monde qui fait mal tous les jours à tous les êtres, j’ai peur qu’il soit incompris ou mal compris dans toutes ses dimensions.
Dans ce film, Voyage au pôle Sud, Luc Jacquet est narrateur, présentateur, personnage principal. Je ne vais pas abuser du suspens insoutenable. On le voit, on voit des manchots, on voit de la neige, de la glace, des bateaux, des troncs d’arbres calcinés et le Pôle Sud.
C’est tout.
Et dans ce tout, il y a tout !
L’aventure, l’amour, la mort, le froid glacial, les icebergs, la fonte des glaces, la petitesse de l’homme, la minusculinité des animaux, la quasi absence de végétation.
Il y a tout. Tout d’un monde d’une beauté en noir et blanc. Certes un choix de réalisateur, mais en réalité aucune couleur n’aurait été justifiable face à l’immensité blanche du Pôle Sud, ponctuée du gilet des manchots.
Il y a tout. Tout ce qui fait l’Homme dans ces aventures au pôle. Tout ce qui défait l’homme qui casse, crache, détruit, abîme comme aucune tempête, aucun ouragan, aucune horde animale ne le fera jamais.
Ce film, son narratif, ses pauses, ses visions, son inconditionnel amour pour les terres australes sont une ode à la beauté de notre planète. Avec ce film on pénètre dans une galerie d’art tout en longueur où chaque photo se lit indépendamment l’une de l’autre ; où chaque photo manifeste son incroyable esthétisme tout en restant intimement unie à toutes les autres. Et cette immense galerie se poursuit sur 4920 secondes pour aboutir à 123,000 photos qui, collée l’une à l’autre créent l’un des films les plus purs et les plus magnétiques qui soit.
Entre road-movie et quête d’absolu, Voyage au pôle Sud fait le récit d’une vie d’homme passionné par ces contrées, par la rudesse des climats et la résistance de la vie. Cette scène de bébés manchots en pleine tornade de glace fait réfléchir à nos conditions de vie si aisées. Dans ces éléments parfois déchaînés, parfois calmes, on admirera le doux regard du phoque de Weddell, le vol planant du condor des Andes et des albatros, les démarches éthyliques des manchots, on entendra le cri rauque de la baleine bleue, on se réjouira de la présence quasi impossible d’un bébé léopard de mer. Et reste en suspension dans l’air, jamais posée et pourtant tellement omniprésente, reste la question ? Jusqu’à quand ?
Il y a urgence à voir ce film. Seul, seule, en famille, entre amis, vieilles personnes et jeunes gens – surtout jeunes gens —. À certains, dont moi, il rappellera la chance que j’ai eue de naître suffisamment tôt dans ce monde pour avoir cru que l’Arctique et l’Antarctique existeraient toujours (doux rêve). Aux jeunes gens et jeunes femmes, il confirmera la fragilité de toute vie et je l’espère, leur donnera envie de mettre les mains dans la neige et la glace pour que leurs enfants puissent, eux aussi, un jour aller filmer ces paysages. (doux rêve !?) Judith Lossmann
INFORMATIONS PRATIQUES
LA VIE EST BELLE VOYAGES
VOYAGE AU POLE SUD
Voyage au Pôle Sud de Luc Jaquet – Sortie le 20 décembre 2023.
PS : Je n’étais pas allée voir La marche de l’Empereur tant j’avais peur de voir des animaux morts. Je ne voulais pas les voir morts. Seulement vivants. Si vous partagez cette crainte vous pouvez aller voir Voyage au Pôle Sud.
PS : ce film devrait être inscrit dans les programmes de toutes les écoles, de toutes les années.