vendredi 19 avril 2024

Trappeurs au Québec

Trappeurs au Québec

Avec ses 10.000 lacs, ses milliers de kilomètres de sentiers, ses forêts de conifères et d’érables à perte de vue, le Québec est l’un des lieux  les plus authentiques de la planète. On peut y vivre une aventure comme Robinson sur son île. Canoë, pirogue, trappe, rafting, Winchester, feux de camp et chamallow en brochette… rien ne manque pour tester son courage et sa résistance face aux éléments naturels… Vis ma vie de trappeur québécois… telle est l’expérience de voyage que l’on vous propose aujourd’hui.

Quittons les congestions

Grand comme trois fois la France et peuplé seulement de six millions d’individus, le Québec offre des visions de l’immensité comme seul les grands continents savent le faire. Ici, tout est grand, les routes, les voitures, le ciel, les arbres, les lacs, les distances, les assiettes, les moustiques. Les quarante premiers Français qui se sont installés ici pour fonder Montréal, puis pour essaimer dans les contrées les plus rudes du pays avaient du cœur au ventre, de l’énergie et une volonté farouche de s’implanter. Face, à autant d’adversité, ils ont développé un tempérament de pionniers, d’hommes bruts de forme, tout en muscles et en volonté, dépourvu d’état d’âme et de sensibilité quand il s’agit de construire une maison, d’abattre un animal, de trapper les fourrures indispensables à leur survie.

Âmes sensibles s’abstenir… Par – 30°C, c’est toi ou l’ours, toi ou le lynx, toi ou le loup… Forcément, le choix est restreint et oblige à des priorités évidentes. Aujourd’hui, la modernité a apporté un vernis et une facilité de vie aux pionniers d’autrefois. Il n’en demeure pas moins qu’à 100 kilomètres à peine de Montréal, au volant de leurs monstrueux pick-up géant, les hommes conduisent une main sur le volant, l’autre sur la Winchester à deux coups, arpentant des immensités boisées, peuplées d’une flore étonnante et d’une faune bien réelle. Si le cœur vous en dit, vous pourrez pendant quelques jours vivre la vie des pionniers d’autrefois. Nous l’avons testé pour vous. Éprouvant, excitant et inoubliable.

Premier contact avec le Canada français

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Comme toujours le voyage commence à l’aéroport de départ. Et ce n’est pas le commandant de bord de la compagnie vacances transat qui me démentira, lui qui souhaite « une excellente envolée ! », avec l’accent s’il vous plaît !
5530 km et 7 heures et quelques minutes de vol plus loin, nous voici arrivés à Montréal. Juste avant l’atterrissage on a une vue sublime sur le Saint-Laurent et sur le parc du Mont-Royal créé par le paysager de Central Park à New York (nous vous en reparlerons dans un prochain article consacré à Montréal). Si rien ne ressemble plus à un aéroport international qu’un autre aéroport international, il suffit d’en quitter les abords pour se retrouver sur les larges autoroutes nord-américaines sillonnées, Canada oblige, de part et d’autre à une vitesse limite de 80m/h, par des pickups énormes et flambants neufs. Les pancartes indiquent Montréal dont on s’éloigne, direction le nord, vers la Lanaudière et la Mauricie.

On quitte les congestions (entendez embouteillages) à la périphérie de la ville pour se retrouver assez rapidement, seul au monde ou presque, sur une highway rectiligne qui mène dans les grands espaces. Entre les massifs laurentiens et le fleuve Saint-Laurent, la Lanaudière est un territoire tout de vert et de bleu inondé en juin. En septembre/octobre, la région se pare des couleurs de l’été indien. Plus à l’est, la Mauricie, du nom l’imposante rivière traversant le territoire, est la terre des premières nations, des bâtisseurs, des trappeurs. Celles du Québec authentique. Arrêt à Terrebonne, une très vieille ville dotée de bâtiments de l’époque pré-industrielle sur le site historique de L’île des Moulins. Un ravissement ! Suit une enfilade de petites villes portant Saint ou Sainte dans leur appellation… Saint Émélie de l’énergie, Saint Alphonse de Rodriguez sans oublier Grand Mère ! , direction Notre Dame de la Merci sur le site de Kabania (lire encadré) où l’on découvre des épiceries locales rebaptisées « dépanneur » ou des « bars laitiers » c’est-à-dire un glacier !
Au printemps et en été, le vert domine la végétation. Tout rayonne dans une gamme chromatique du vert végétal au bleu des eaux, celles des lacs, des rivières, des étangs. D’énormes trucks chargés de troncs d’arbres sillonnent les routes et croisent de nombreuses motos bi-places tout confort. Des monstres qui permettent de rouler le nez au vent. Les kilomètres s’additionnent. Chaque borne dépassée nous conduit vers le nord, terre d’élection des prospecteurs.

Un camp de trappeur…

l'un des derniers véritables trappeurs raconte

Isolé du monde, accessible seulement en 4X4, puis en moto-neige (en hiver) et en quad au printemps/été, le camp des trappeurs se camoufle au cœur d’une forêt de résineux et d’arbres caduques.
Une large tente traditionnelle montée pour plusieurs mois sert de camp de base aux apprentis trappeurs (stage à partir de 256$). Elle abrite quelques lits de camp rudimentaires, un poêle à bois ronronnant même en été – les nuits sont froides -, une table pour les repas et quelques cuvettes agrémentés de bouts de savon séchés. C’est sûr, ici on ne cherche pas à gagner un premier prix de beauté. Une hygiène basique suffit. À croire, que pour mieux chasser les animaux, il faut posséder une « légère» odeur corporelle, preuve de son « animalité ».
À l’extérieur, autour d’un feu de camp allumé 24h/24, s’entassent des peaux, des instruments étranges, des pièges de toutes sortes. Un trappeur professionnel, l’un des derniers de la région, nous explique que sa fonction est nécessaire, qu’il a un rôle de prédateur « qualifié » pour contrôler et sauvegarder les espèces, éradiquer les « individus » dangereux. Je ne suis pas très bonne cliente pour ce genre d’explications. Mes compagnons de route sont moins sceptiques et acceptent ses explications rationalistes de trappeur formé et consciencieux qu’il est sans aucun doute. Quoi qu’il en soit, pour bien « piéger », il faut bien connaître et notre trappeur professionnel ne tarit pas d’explications sur les vertus de telle ou telle technique, de tel ou tel piège qui n’abîme pas les peaux des castors, loutres, rats musqués, ours, loups, renards, coyotes. Peaux, aujourd’hui, de son propre aveu, sans grande valeur commerciale du fait du désaveux de la fourrure dans la mode et du fait du nombre de plus en plus important d’animaux, contre point au manque de piégeurs. L’homme nous mime des scènes de chasse et quelques rencontres, disons, peu rassurantes… Je note, avec satisfaction, sa gratitude et sa reconnaissance sincère aux Amérindiens, les hommes d’origine de ces terroirs difficiles, auxquels il reconnaît devoir beaucoup dans l’apprentissage et dans les techniques de survie sur ces terres hostiles. Un héritage salué et reconnu, ce n’est pas si fréquent.

Les aubergistes de la forêt

Les couleurs du sirop d'érable

Dans les provinces québécoises, entre Montréal et Québec, les « pourvoiries », des auberges, sont ouvertes hiver comme été. Ces anciens lieux de chasse et de pêche fournissent le gîte et le couvert. Selon les propriétaires, les niveaux de confort changent mais généralement, les lits sont bons, la table généreuse et locale, l’accueil très amical. Les Français sont toujours accueillis en « cousin ». L’auberge du Vieux-Moulin confirme cette règle. En pleine nature, au bord d’un lac à visiter en barque ou pédalo, l’immense maison est chaleureuse. À proximité, on visite « la cabane à sucre », entendez l’atelier de récolte et de fabrication du sirop d’érable. Avec les explications du fils du patron, on découvre les secrets de fabrication de cette « panacée » sans laquelle le Canada ne serait pas vraiment lui-même. Fort intéressant de découvrir que toute la récolte se fait en quelques jours seulement, 7/8 grand maximum.
Avant il fait trop froid, ensuite il fait déjà trop chaud. Selon les années, le sirop d’érable – auquel on ne rajoute aucun sucre – prend des couleurs et des densités différentes. Au Canada, la rivière n’est jamais loin. Et justement, c’est vers l’une d’elle, la Mattawin, que nous nous dirigeons.

Où l’on descend la rivière à cheval…

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Enfin presque. En tout cas, à la vitesse d’un cheval lancé au trot. Embarqué à 6 pour une descente en rafting, je suis heureuse que le barreur soit un expert. J’ai déjà pratiqué le rafting sur le Haut-Allier et même sur la Durance juste pendant la fonte des glaces. À côté de la descente de ce « petit » affluent de la Mauricie, c’était aussi dur que de prendre un thé au lait au Bristol ! La rivière est très technique. Elle présente toutes les caractéristiques que les rafteurs aiment : trous d’eau, trains de vagues, pyramides, tourbillons, cascades, rapides et chutes. 20 kilomètres de descente comme cela, on ne va pas s’ennuyer. Nous sommes précédés par un kayak, présent pour assurer la sécurité des passagers et récupérer le raft si dessalage.

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Le barreur, seul maître à bord, place deux d’entre nous à l’avant gauche et droit. Ce sont les « jumpers ». En quelques coups de pagaie sur un bras mort, il nous apprend à synchroniser nos mouvements et à obéir aux ordres : « Avant toute », « Arrière droite », « Arrière toute », « Avant toute turbo » « Tranquille », « On laisse faire », « Stop gauche, arrière droite », « Sécurité ». Le pied coincé sous le boudin extérieur, on se lance. On est tout de suite dans l’ambiance. La rivière crache ses 200 m3/seconde. Ça ne rigole pas vraiment à bord. Nous sommes concentrés. Aux premières chutes, on fait un flip. Le bateau se retourne. Tous à l’eau. On se met sur le dos, les pieds en avant pour éviter les rochers et on tente de se rendre sur la rive. Peine perdue, le courant est trop fort. Je sais désormais ce que ressent une brindille ballotée par un torrent. Au moins, comme ça c’est fait. Heureusement que la combinaison nous a protégés car l’eau ne doit pas dépasser 10/11°C. Comme toujours la peur du danger est pire que le danger lui-même. De fait, tomber à l’eau, c’est non seulement le risque que l’on accepte en faisant du raft mais quand c’est fait, on a moins peur. Du coup, la descente, pourtant sportive, prend des allures de grand « grand kiffe ». Le soleil brille, l’eau est agréablement fraîche. Bien synchrones, on passe les difficultés les unes derrière les autres avec un réel sentiment de partage et d’aventure. À mi-chemin, pause déjeuner façon cow-boy nordique :hamburger géant cuit sur un BBQ, pain grillé à même la flamme et sauce corsée, le tout arrosé d’un jus de gazon à l’eau furieuse.
Quelques kilomètres plus bas, on sortira du raft pour escalader quelques énormes rochers moussus pour se glisser derrière une cascade à la façon « le dernier des Mohicans ». C’est génial et inoubliable !

Un repos bien mérité en compagnie de quelques grosses bêtes

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On repart, le cœur vaillant. Finalement le plus dur physiquement sera l’arrivée où il faudra pagayer sans discontinuer pendant de longues minutes pour traverser la large Mauricie et revenir à l’auberge de la rivière Mattawin. Après le retour du matériel, direction la forêt – la même que celle d’où nous sommes partis le matin pour le raft, mais cette fois-ci pour prendre possession d’un éco-chalet en bois, presque tout confort… Les coffres des voitures sont remplis de victuailles.
Un jeune guide lance un feu de bois en quelques secondes et au son de la rivière (notre amie de l’après-midi), nous nous laissons bercer par les cris des animaux, le son de l’eau vive et dégustons à la clarté du feu et de la lune, un repas roboratif bien mérité dont un étrange fromage, très apprécié localement mais qui laisse nos papilles françaises en manque de saveur…
Je grimpe à l’échelle pour aller dormir d’un côté d’une fine cloison de bois, partageant ainsi l’espace avec ma guide. J’avais ouvert la fenêtre pour profiter du bruit de cette immense forêt. Je m’endors avec le crépitement du feu… et quelques heures (minutes) plus tard, je me réveille avec le brame d’un orignal, le grattement d’une grosse bête difficilement identifiable et la course-poursuite de souris dans la cuisine en bas. Pas de doute, je suis dans le Canada authentique ! À 7 heures du matin, j’apprendrai la visite des ours venus piller nos voitures espérant y trouver des friandises. Après un énorme petit-déjeuner à l’auberge Mattawin, en compagnie de quelques bus d’Américains, urbains subjugués par tant de vert, nous reprenons la route pour une visite aux ours et une balade dans le domaine lacustre des castors à bord d’un rabaska.

Ours sauvages, castors et tir à la Winch…

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La Pourvoirie (entendez un hôtel local, souvent en bois et de taille importante) dite du Lac Blanc s’étend sur 3500 hectares. Autant d’espace peuplé par des animaux de toutes sortes qu’ils soient terrestres ou marins. Parfois les deux. Ici, tout est fait pour ramener le visiteur dans un espace-temps hors de notre époque, à ceci près que l’on utilise de gros 4×4 pour monter à l’assaut des collines et montagnes boisées à la recherche des ours bruns. Et aujourd’hui ne fera pas défaut. Avant d’entamer la dernière partie à pied, le guide enseigne à marcher silencieusement, à rester grouper et une fois arrivés sur les lieux de vie des ours à chuchoter tout en limitant les gestes qui pourraient énerver les animaux. L’observation des plantigrades dans leur milieu naturel est à ce prix. Armé de jumelles et de téléobjectifs, nous nous faufilons discrètement derrière un rideau d’arbres, à l’abri derrière une palissade de bois ouverte de larges baies. L’observation commence. Les enfants sont les plus patients. Pour attirer au moins un animal, de la nourriture a été déposée un peu plus tôt dans l’après-midi. Et là ho surprise, c’est toute une famille qui dévale un petit chemin pour s’approcher de la nourriture. Une mère et son petit, jusque-là invisibles, se joignent aux premiers, descendant lentement du sommet d’un arbre. Protégé du vent, notre odeur ne parvient pas aux ours. Ils vivent leur vie ignorants notre présence.
Ça grogne, ça se gratte, ça mange… C’est fabuleux de les voir ainsi dans leur milieu naturel se prélasser au soleil, bouger avec une lenteur de fainéant – eux qui savent courir à 40km/h pour attraper leurs proies – et s’interpeller dans un concert de grognements satisfaits. Un joli moment de vie sauvage qui se poursuit par la visite en rabaska, un long canoë utilisé par les voyageurs et les Amérindiens, au pays humide des castors. Sous l’œil exercé d’un autre guide, il est agréable de découvrir les « maisons » des castors et tout leur travail de barrage.
Celui-ci ayant vocation à sécuriser et à domestiquer des bras d’eau, des petits étangs et à fournir nourriture et bois à toute leur famille. Des grenouilles-taureaux de taille exceptionnelle, ici nommées les Ouaouarons (origine iroquoise), font entendre leur étrange mélopée. Ces grenouilles mugissantes accompagnent notre promenade en « pirogue », renforçant d’un accent de vérité ce décor de western, tout de mares et de bois flotté. Un moment suspendu dans le silence bruissant de cette nature immense. «link»

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On ne quitte pas le Québec des pionniers sans un tour au stand de tir des pigeons d’argile du coin. Il faut savoir deux choses, cette fichue carabine possède un tel recul que vous pouvez vous faire un joli « bleu » à l’épaule. Et quand elle tire, ça s’entend. Mieux vaut porter un casque antibruit. Ces deux aspects réglés, on prend plaisir à hurler « poule » ou « double poule » et à voir partir à une vitesse hallucinante les «assiettes » d’argiles qu’il faut viser… encore faudrait-il en avoir le temps. Un exemple de plus que la vie dans ces contrées sauvages fut difficile, douloureuse, épique. Elle demanda un courage hors du commun et une résolution à toutes épreuves. Des qualités que l’on rencontre encore aujourd’hui chez nos « cousins » canadiens des campagnes. Pleins de cette authenticité et cette générosité acquises à la rude, ils ont plaisir à les partager avec nous quand nous leur rendons visite. Un beau voyage, de belles expériences et d’inoubliables rencontres… voilà ce que vous rapportez du Québec !

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