mercredi 19 février 2025

You and The Night and The Music

You and The Night and The Music

Lundi 16 décembre, la pluie fait des claquettes sur le boulevard St-Honoré et mes pas accélèrent pour mieux marquer le tempo sur le bitume en mode « chabada ». J’ai tellement hâte d’y être !

21 ans de bonheur !

D’abord accueillie par le New Morning, puis l’Opéra-Comique et enfin l’Olympia, la soirée qui « consacre » le meilleur du jazz pose depuis 2017 ses valises et ses instruments Salle Pleyel. Il est environ 19h05, quand je pénètre dans cette mythique salle de concert qui accueille la 21e édition de « You and The Night and The Music », l’événement jazz de l’année, organisé par TSF JAZZ qui retransmettra l’intégralité du concert en direct via ses studios, pour celles et ceux qui se retrouvent privés de ce moment tant attendu. Pour Sébastien Vidal, grand manitou de TSFJAZZ et co-animateur de la soirée avec Laure Albernhe, « le jazz c’est d’abord du kiff avant d’avoir du sens, c’est notre objectif, notre vocation. » Avec pour ligne directrice pour construire la soirée de choisir douze groupes pour douze mois. Oui, mais voilà, le cru 2024 est exceptionnel… Impossible de réduire à douze ! Ce seront donc dix-sept groupes qui se produiront avec pour mission de donner du plaisir et de partager des émotions.

Dans la salle, on retient son souffle !

19h30. Pleyel se remplit rapidement et une effervescence certaine bruisse devant et dernière le rideau…
19h55. Pleyel est pleine à craquer, plus une seule place de libre.
2036 aficionados installés dans leurs fauteuils en velours rouge trépignent d’impatience en attendant le lever de rideau.
20h00. La voix de Sébastien Vidal s’élève dans la nuit : “place à la musique et place au Jazz, bonne soirée.”
Lumière éteinte et rideau toujours baissé, un vibrant hommage est rendu à Martial Solal, véritable légende du jazz, pianiste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre. Il vient de s’éteindre à l’âge magnifique de quatre-vingt-dix-sept ans.
Derrière ce rideau, qui, décidément n’en finit pas de se lever, retentit le son éclatant d’un big band ! Et me voilà projeté dans le passé, salle Pleyel il y a cinquante-deux ans, un certain 17 avril 1972 avec le Count Basie Orchestra, champion du monde du swing.
Ce soir sur cette même scène, les héritiers du Count Basie Orchestra s’appellent le Zoot Big-band, un collectif de seize jeunes musiciens inspirés, dont la moyenne d’âge n’excède pas vingt-sept ans. Ils rendent un hommage à leurs illustres aînés. Bonne nouvelle, le Zoot Big-band sera l’orchestre de cérémonie de la soirée avec un répertoire et des arrangements composés spécialement pour « You and The Night and The Music ».

Michel legrand afficheDe la scène à l’écran, le Jazz est là !

Cerise sur le gâteau… à chaque changement de groupe, pendant que les techniciens s’affèrent, telles les abeilles ouvrières dans la ruche, un grand écran diffusera des extraits de documentaires, films, interviews ou concerts. L’occasion pour nous durant cet intermède de découvrir un documentaire exceptionnel sur la vie de Michel Legrand. Suivi d’une interview de Quincy Jones qui, tout comme Martial, a eu la très mauvaise idée d’aller rejoindre ses petits copains près des étoiles, probablement pour faire une jam.

Tous en scène, que le spectacle commence !

Sur les planches, les coups de cœur, les soubresauts de l’âme s’enchaînent au rythme des groupes venus de toutes les latitudes et longitudes, ils ont toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ils ont le voyage dans le sang et dans la musique. Et nous, on est là, on écoute, on savoure. Pourvu que ça dure, prie-t-on, pendant les rares notes blanches. Daoud, un trompettiste franco-marocain de trente quatre ans entre sur scène accompagné de son quartet. Je l’avais découvert l’an dernier à « Jammin’ Juan » et je retrouve avec bonheur ses influences musicales qui nous baladent du jazz au RnB, en passant par le hip-hop ou la musique électro. Son jeu est puissant et mélodieux. Loin des clichés, il communie sur scène avec ses musiciens dans une sorte de danse tribale fusionnelle. Daoud s’inscrit dans la mouvance de Theo Crocker et Christian Scott, mâtiné du charme oriental d’Ibrahim Maalouf. Je conseille son dernier album « Good Boy ».
Enchaînement parfait avec le superbe duo piano voix de la jazz-singer Charlotte Planchou, accompagnée de Marc Priore au piano. Dans son dernier album « Le Carillon », elle se balade avec allégresse du Jazz à la pop en passant par la Bossa.
Place ensuite au talentueux pianiste gallois, Joe Webb, véritable rock star de la scène londonienne, qui compose et joue en trio sa propre musique au piano ou à l’orgue Hammond. Après avoir collaboré avec des pointures comme Wynton Marsalis ou Jamie Cullum, Joe Webb s’est consacré à l’écriture de son premier album « Hamstings and Hurricanes ».
Brad Mehldau dit de lui « il sait swinguer, il est mélodique et laisse les idées se développer sans l’arbitraire »… beau compliment !
La magie du jazz s’exprime grâce à un brassage international qui permet à des musiciens du monde entier d’exprimer leur talent sur la même scène, avec pour unique langage « la musique », pour road book « les partitions » et pour source d’inspiration « l’improvisation ».
Poursuivons donc ce voyage musical au Canada, pays d’origine de l’éclectique multi-instrumentiste Jowee Homicil , qui nous embarque dans son dernier projet « Spiritual Healing » vers ses racines haïtiennes.
Puis, chaud devant avec le Jazz-Funk au féminin de la flûtiste Ludivine Issambourg. Dotée d’une superbe énergie et très inspirée dans son dernier album « Above The Laws » par son maître, Hubert Laws, elle nous enchante ici avec son groove explosif. J’ai même retrouvé ici et là au détour de ses chorus, des envolées lyriques dignes de mon flutiste de cœur…Jethro Tull ! Pour info, Ludivine Issambourg sera au New Morning le 31 janvier prochain.
Autre coup de cœur avec un des pianistes les plus doués du jazz français, grand admirateur de Kenny Barron, le pianiste  Fred Nardin et son « Nightcall » , devenu un tube planétaire après la reprise d’Angèle et Phoenix pour la cérémonie de clôture des JO. Ce qui caractérise Fred Nardin c’est avant tout la beauté de son jeu qui nous emporte et nous fait voyager…j’adore !
Poursuivons ce voyage musical en Italie avec l’album romantique du saxophoniste Stefano Di Battista « La Dolce Vita » avec pour fil rouge, les chansons italiennes populaires et les célèbres musiques de films de la Cinecittà.
Quittons Rome pour Tel-Aviv avec la star du Jazz israélien, le  contrebassiste Avishai Cohen qui bondit sur scène avec ses deux complices, la batteure Roni Kaspi et le pianiste Guy Moskovich, formant un trio de rêve à la tête du duquel Avishai Cohen nous régale, album après album ! « Brightlight », le dernier en date n’échappe pas à la règle. Perso j’ai adoré sa reprise de « Summertime » !
Gros coup de cœur aussi pour Edouard Pennes et son « Bird Lives » en hommage aux deux albums mythiques « Charlie Parker with Strings » (Mercury 1950) et l’album de compilation paru sur le label Verve en 1995. Il n’y aucune volonté de plagier chez Pennes, bien au contraire, il livre une très belle relecture de ces albums de légende, servis pour la circonstance par une petite section de cordes classiques et une section rythmique bebop.
Dans un registre différent, le bouillonnant Isaiah Collier, jeune saxophoniste de vingt-six ans, originaire de Chicago, illustre à sa façon la jeune garde Coltranienne et nous délivre un long monologue puissant et vibratoire dans un savoureux patchwork de gospel et de funk… fascinant !

 

Vamos…

affiche You and the Night and the music 2025Le pianiste espagnol Marco Mezquida qui nous illumine à chaque apparition en flirtant entre jazz et flamenco, nous dévoile son nouvel album plus intimiste « Letter to Milos », dans un format trio peu conventionnel mais qu’il adore avec Martín Meléndez au violoncelle et Alex Tobias au pandeiro, un large tambourin espagnol.
Dans cette quête de rencontres et de voyages, s’il y a bien un musicien de jazz en recherche permanente, c’est assurément Samy Thiebault ! Sa musique multicolore et son saxo sont de véritables remèdes contre la mélancolie…à savourer son album « In Waves ».
L’un des grands moments de la soirée fut la présence exceptionnelle, en sa qualité d’invité d’honneur, du légendaire pianiste jamaïcain Monty Alexander. Ce magnifique octogénaire sur sa fiche d’état civil demeure un éternel jeune homme dès lors que ses doigts effleurent l’ivoire de son piano. Il tombe amoureux du jazz à l’âge de treize ans, le jour où son père l’avait emmené voir Louis Armstrong en concert à Kingston. Monty est un pianiste au swing exceptionnel et à l’incroyable dextérité à l’instar d’Oscar Peterson, son maître à jouer. Petite anecdote…Il était prévu qu’il joue ce soir pendant six minutes, oui mais voilà ! il s’est senti tellement bien sur cette scène de Pleyel, qu’après avoir regardé sa montre, il nous a gratifié de huit minutes de bonheur supplémentaires… Merci Monsieur ! Comme le bonheur appelle le bonheur, la suite des festivités révèle d’autres talents, avec le trio du saxophoniste Dimitri Baevsky qui débarque à NYC à l’âge de dix-neuf ans pour ne jamais plus quitter « big apple ». II sera accompagné par le contrebassiste David Wong et un de mes chouchous, le formidable guitariste Peter Bernstein, dont la biographie donne le vertige…Brad Mehldau, Lee Konitz, Diana Krall, Joshua Redman Diana Krall, Joshua Redman… excusez du peu !

Un ange passe…

Sophye Soliveau, vingt-huit ans, prend place sur scène, avec au programme, « Initiation » un album sublime aux couleurs, R&B, soul, jazz, et gospel. Chanteuse et harpiste surdouée, biberonnée à la chanteuse néo-soul Erykah Badu et au vocaliste américain Bobby McFerrin, dont Sophye Soliveau s’est inspirée pour ses improvisations vocales.
The last but not the least avec le « teen ager » de cette 21e édition de « You and The Night and The Music », le jeune chanteur Tyreek McDole, vingt-quatre ans , étoile montante du jazz vocal, lauréat de nombreux prix, dont le concours international de Jazz Sarah Vaughan 2023 qu’il remporte avec trois morceaux  : September in the Rain ( Sarah Vaughan, Lush Life(Johnny Hartman ) et Every Day I Have the Blues (Joe Williams ). À suivre !

Vivement l’année prochaine…

23h15… le rideau se baisse, les lumières éclairent les visages réjouis de mes âmes sœurs d’un soir. Comme au cinéma où je pars toujours le dernier pour lire jusqu’à l’ultime ligne du générique, je reste lové dans mon fauteuil carmin, histoire de regarder les derniers quitter la salle et d’attraper, peut-être, au vol quelques notes bleues flottant encore dans l’air. Je ferme les yeux. Je revois tous les artistes de cette soirée exceptionnelle venus partager leur amour du Jazz et sa magie, qui a opéré une fois de plus. Je me félicite de ce passage de témoin tout en douceur. Et même si cette année a été attristée par le départ vers la Voie lactée du pianiste Martial Solal, du compositeur Quincy Jones, du batteur Roy Haynes, de l’arrangeur brésilien Sergio Mendes, du guitariste Sylvain Luc, du saxophoniste Lou Donaldson, du percussionniste indien Zakir Hussain… Nous aurons assisté ce soir au miracle que seule la musique en général et le jazz en particulier sont capables de produire, l’osmose entre quatre générations, du plus jeune Tyreek McDole, tout juste âgé de vingt-quatre ans au vieux sage Monty Alexander de quatre-vingts ans. Nous étions là pour communier dans ce brassage ethnique de musiciens venus des quatre coins du monde pour partager et transmettre leur message de paix et d’amour. « Le jazz est synonyme de liberté. Pour l’absence de préjugé et de discrimination, l’absence d’obligation et de convention. C’est ma définition du jazz que je veux transmettre à l’auditeur. Qu’il soit jeune ou vieux, traditionaliste ou moderne, fan de jazz ou pas », dit l’organiste Barbara Dennerlein.
Quant à moi, humble amoureux de cette musique qui me transporte, je n’ai qu’un seul désir à formuler… Que nous soyons tous au rendez-vous dans un an Salle Pleyel pour la 22e édition de You and The Night and The Music ! Jean-Loup Guest

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